CHAPITRE XXIII

Méfie-toi de celui qui ne te ressemble pas,

Mais plus encore de celui qui te ressemble.

Et encore plus de ton propre reflet dans un miroir.

Proverbe rananki.

 

 

 

TAU se levait en arrosant de bleu pâle, de rose et de mauve les sommets habillés d’une blancheur aveuglante. Il avait neigé une grande partie de la nuit. Duhog, qui ne souffrait pas du froid, avait réchauffé Ynolde en l’entourant de ses bras et en la gardant serrée contre lui jusqu’à l’aube. Kilmo, lui, s’était installé dans le panier de l’autoporteur et avait tendu son astrelle par-dessus afin de se protéger des flocons. Le Rananki semblait dérouté par le brusque changement de temps.

« Jamais on n’a vu de neige le jour du solstice d’été… »

À en croire les regards furtifs qu’il jetait à Ynolde, il attribuait ce phénomène climatique à la jeune femme. Les miracles se multipliaient autour d’elle avec la même prodigalité que les merveilles attribuées au dieu Ranank. Elle n’avait pas besoin de ses yeux pour voir, elle crachait un feu terrible qui ne laissait aucune chance à ceux qu’il frappait, la neige qui tombait habituellement aux alentours du solstice d’hiver apparaissait au plus fort de l’été… Kilmo avait désormais l’impression de côtoyer une créature surnaturelle.

Le sentier avait disparu sous le manteau blanc d’une épaisseur de trente centimètres. Les seuls points de repère étaient désormais les pics qui étincelaient dans le lointain. Plus aucun nuage ne ternissait le bleu du ciel. Les rafales de vent soulevaient des tourbillons blêmes, danseurs fantomatiques qui se lançaient dans les pentes et se pulvérisaient en gerbes scintillantes sur les reliefs.

Irradiée par la chaleur du cakra, apaisée par la présence de Duhog, Ynolde n’avait pas dormi de la nuit. De la mémoire de frère Ewen, de sa propre mémoire avait jailli une sarabande d’images et de sensations qui ne s’était interrompue qu’avec le lever de Tau. Les souvenirs de son père mêlés aux siens, leurs deux vies entrelacées au point qu’il était pratiquement impossible de les dissocier. De la même manière qu’elle avait achevé la symbiose avec le cakra, elle avait accompli la fusion avec le premier maillon de la chaîne. Elle n’était plus Ynolde, la petite fille révoltée du massif des DamesBlanches, la jeune femme enfiévrée par ses sens sur l’île de Guino, l’élève assidue de maître Gest Asraour, l’amoureuse transie de Brouk le Phaïstin, elle s’était enrichie de l’âmna de frère Ewen, de ses chagrins et de ses consolations, comme si deux chances, deux vies, deux destins s’étaient comprimés dans son corps. Elle était homme et femme, naissante et agonisante, jeune et vieille, heureuse et désespérée, humble et orgueilleuse, forte et faible, vaincue et triomphante, bourreau et victime, prêtresse du feu et ange de la mort… De l’union du père et de la fille, du frère et de la sœur, émergeait une troisième entité, plus solide, plus sereine. Les inquiétudes, les interrogations l’avaient désertée comme les nuages avaient disparu du ciel de Faouk. Elle était presque arrivée au bout de sa route. Elle aimait Duhog sans rien attendre de lui. Son propre sort ne lui importait plus.

« Vous pouvez vous orienter sans le sentier ? » demanda Duhog.

Kilmo désigna un sommet en forme de fourche.

« Il me sert de point de repère. Après, je ne sais pas, j’espère en tout cas que la neige fondra.

— On peut continuer en autoporteur ?

— Comme on ne voit plus le sentier, on risque de heurter un rocher.

— Même en roulant tout doucement ? »

Ils décidèrent de monter le plus haut possible avec le véhicule. Si l’exercice se révélait trop périlleux, ils l’abandonneraient et continueraient à pied.

Kilmo démarra l’autoporteur et le conduisit sur la neige avec une extrême prudence. Installés sur les sièges passagers, Ynolde et Duhog crurent à plusieurs reprises que le véhicule culbutait, mais le Rananki réussit à le rétablir sur ses roues. Il progressait en effectuant de larges boucles qui lui permettaient d’affronter le pourcentage élevé de la pente. L’épaisseur du manteau neigeux amortissait les nombreux chocs contre les reliefs escamotés. Le moteur hurlait quand l’autoporteur peinait à franchir les passages les plus raides. Kilmo, arc-bouté sur le volant, appuyait de tout son poids sur la pédale d’accélérateur et donnait d’incessants petits coups de volant pour se sortir des ornières. Le vent se chargeait à présent de la chaleur naissante de Tau et, bien que toujours aussi pénétrant, devenait un peu moins mordant.

Les implants vitaux d’Ynolde n’émettaient plus de vibrations, mais la résonance avec le troisième frère ne cessait d’augmenter. Un courant silencieux, irrésistible, l’entraînait vers les sommets. Son cakra l’enveloppait d’une chaleur douce bienfaisante. La lumière de Tau qui se réfléchissait sur le miroir immaculé de la neige lui ravissait l’âme.

La pente s’accentua encore et l’autoporteur cala. Kilmo se retourna vers Duhog et Ynolde.

« On n’a plus assez de puissance », marmonna-t-il en lissant sa barbe afin d’en retirer les cristaux de glace.

Duhog sauta par-dessus le garde-corps du véhicule et s’enfonça dans la neige jusqu’aux genoux.

« On finira à pied. »

Ynolde descendit à son tour. Kilmo resta agrippé au volant, pâle, les yeux baissés.

« J’ai fait ce que les servants m’ont ordonné, murmura-t-il.

— Vous pouvez rentrer chez vous, déclara Duhog. Vous avez accompli votre part, et nous vous en remercions. Il ne doit pas y avoir cinquante refuges là-haut. On se débrouillera. »

Kilmo réfléchit quelques instants, les yeux toujours baissés, puis il s’inclina brièvement avant de démarrer et d’engager l’autoporteur dans la descente. Louvoyant entre les reliefs, il ne fut bientôt qu’un point sombre dans le lointain. Le silence absorba peu à peu le grondement du moteur.

« Un proverbe de chez moi dit qu’il vaut mieux un homme déterminé que cent terrorisés, marmonna Duhog. Il aurait été plus encombrant qu’utile. »

Ils grimpèrent jusqu’au sommet en forme de fourche, partant parfois dans d’interminables glissades qui les rejetaient plusieurs dizaines de mètres en arrière. La montée n’offrait aucune aspérité, aucune prise. Il leur fallait régulièrement s’arrêter pour reprendre leur souffle.

« Je n’aurais pas dû le renvoyer, grogna Duhog entre deux expirations sifflantes. Le refuge de celui qui t’attend n’est peut-être pas si facile à trouver dans cette désolation.

— Tu l’as toi-même dit : Kilmo aurait été plus gênant qu’utile. »

Duhog observa la jeune femme avec une soudaine attention.

« Je ne sais pas grand-chose de toi dans le fond. Ni en tant que femme, ni en tant que sœur.

— Tu connais la meilleure part. Le reste n’a aucune importance.

— Je me demande… (il retira son masque rigide et essuya, d’un revers de manche délicat, les gouttes de sueur qui perlaient sur son front dévasté) ce que j’aurai envie de faire après ça.

— Retourner chez toi ? »

Il remit son masque après en avoir épousseté l’intérieur.

« Avec toi, je pourrais vivre n’importe où.

— Et sans moi ? »

Un sourire amer plissa les lèvres du soldat.

« Ça, je ne l’ai même pas envisagé. »

Ils atteignirent le sommet en forme de fourche après deux ou trois heures d’efforts exténuants. Autour d’eux se dressaient une multitude de dents blanches aux pointes noires acérées.

« C’est à partir de là que ça devient compliqué ! » soupira Duhog.

Ynolde attendit que son rythme cardiaque retrouve sa fréquence habituelle.

« La résonance avec le troisième frère, dit-elle. C’est elle qui nous guidera. »

 

Je connaissais l’odeur et la saveur de Mihak, je connaissais la texture de sa peau et ses soupirs intimes, je connaissais la douceur de ses lèvres et de ses mains, je connaissais ses caresses intimes et ses gémissements de plaisir, mais je ne connaissais pas Mihak. Qui peut se vanter de connaître cette planète mystérieuse qu’est un être humain ? Qui peut savoir ce qui se passe dans la tête de l’homme ou de la femme qu’on tient dans ses bras et qu’on croit aimer plus que soi-même ? Qui peut épouser le cours de ses pensées intimes ? Qui peut observer le monde à travers ses yeux ? Comment admettre que l’âme de l’homme qui vous arrache des cris de jouissance, des larmes de ravissement et des espérances folles est celle, noire et glacée, d’un démon ?

J’ai aimé Mihak de toute la fougue et la naïveté de ma jeunesse. Je l’aurais suivi sur n’importe quel monde où l’auraient porté ses pas, je me serais roulée en boule dans ses bagages, dans ses vêtements, dans sa main, j’aurais été son souffle, sa sueur, son ombre, mais Silf le Jnandiran est entré dans nos vies et la vérité m’est apparue, monstrueuse et salvatrice dans sa nudité. Mihak nous attendait dans sa demeure du haut du Mantouk. Il n’avait rien perdu de notre ascension, de nos démêlés avec les hommes lancés à notre poursuite. Des dizaines de sondes identiques à celle qui m’avait terrifiée à l’entrée de son refuge survolaient la montagne et alimentaient en images les écrans de surveillance.

Mihak était bien un frère du Panca. Le troisième maillon de la chaîne qu’il devait former avec quatre autres frères. Il nous a raconté qu’il avait entendu l’appel de la Fraternité quelque temps après avoir reçu son implant et son cakra : le quatrième maillon devait le rejoindre sur Faouk pour lui remettre son âmna ainsi que celle du cinquième frère. La suite des événements ne s’était pas déroulée exactement comme sa hiérarchie l’avait prévu. Mihak avait eu des doutes sur l’organisation secrète à laquelle il appartenait. Il avait voulu s’en ouvrir au maître qui l’avait formé, mais celui-ci avait disparu sans laisser de traces, probablement mort de vieillesse quelque part dans le désert. Alors il avait mené son enquête, interrogé les réseaux du système, fouiné dans les bibliothèques et les archives, et il avait appris que, six siècles plus tôt, la Fraternité avait été mêlée de près à la guerre terrible qui avait opposé de nombreuses planètes et causé la mort de centaines de milliards d’êtres humains.

« Vous êtes sûr que votre organisation est responsable de cette guerre ? » a demandé Silf.

Je me suis rendu compte que le Jnandiran n’était pas le quatrième frère comme je l’avais toujours cru, mais, au contraire, un homme expédié par ses maîtres pour briser la chaîne. Je ne lui en ai pas tenu rigueur. Il y avait en Silf une forme de grandeur qui excluait la médiocrité. En outre, je me suis souvenue qu’il n’avait jamais rien dit à ce sujet, qu’il s’était contenté de me le laisser croire.

« La coïncidence est troublante en tout cas, a répondu Mihak. Le Panca a été impliqué dans chacun des conflits meurtriers qui ont éclaté dans un coin ou l’autre de la Galaxie.

— Et vous avez décidé de devenir frère malgré cette coïncidence ? »

Nous étions assis dans la grande salle équipée des écrans. Sur l’un d’eux on pouvait voir la femme blonde et l’homme au masque noir gravir avec les pires difficultés les pentes enneigées. Je l’ai admirée et prise en affection, cette femme d’apparence fragile venue d’une planète lointaine pour accomplir la volonté de sa Fraternité. J’avais envie de lui crier de rebrousser chemin et de se mettre en quête d’un autre frère, d’une autre chaîne, d’un autre destin, mais elle ne m’aurait pas entendue, et puis, comme j’éprouvais de la sympathie pour Silf le Jnandiran – davantage que de la sympathie sans doute –, je ne voulais pas compromettre sa mission.

« J’étais persuadé que la Fraternité agissait pour le bien des peuples humains, a répondu Mihak. J’ai admis mon erreur. Et j’ai décidé d’être celui qui romprait la chaîne.

— Vous avez pris cette décision seul ? »

Mihak a jeté à Silf un regard vénéneux.

« On est toujours seul quand on prend une décision. Cela n’empêche pas de s’entourer de plusieurs avis. »

Silf a pointé l’index sur l’écran où, vus du dessus, la femme blonde et l’homme au masque noir progressaient avec peine sur l’interminable pente immaculée. Je me suis souvenue des souffrances que j’avais endurées sur ces mêmes versants. Eux devaient en plus se débattre dans une neige épaisse et glissante.

« Que comptez-vous faire d’elle ?

— Récupérer ses implants, son cakra, et les détruire.

— Pourquoi ne pas vous contenter d’être le maillon manquant de la chaîne ?

— Elle renferme déjà deux maillons. Si je l’épargne, elle pourra recommencer une chaîne ailleurs.

— Quand vous l’aurez éliminée, votre hiérarchie recommencera de toute façon une autre chaîne.

— Sans doute, mais elle devra reprendre du début. Et les probabilités pour réunir les deux premiers maillons sont infimes. C’est déjà un miracle que le premier et le deuxième frères de celle-ci soient parvenus à s’unir. Les obstacles, les ennemis et les aléas sont si nombreux qu’il faut des centaines d’années™ avant qu’une chaîne puisse être entièrement constituée. En éliminant les deux premiers maillons, nous nous assurerons plusieurs siècles de tranquillité. »

Mihak prétendait agir pour le bien de ses frères humains, mais je ne le croyais pas, ou, était-ce la lucidité du désenchantement ? je le voyais à présent comme un misérable félon. Je me rappelais ses mensonges et sa lâcheté devant les hommes de ma communauté. Il n’avait rien tenté pour m’arracher à leurs griffes, il n’avait même pas essayé de jeter une couverture sur mon corps pour soustraire ma nudité à leurs regards. Je crois maintenant qu’il s’est servi de moi : je n’étais qu’un indice parmi d’autres pour ceux qui le recherchaient.

« Comment savez-vous que je suis un assassin ? » a demandé Silf.

Assassin…

Ce mot ne m’a pas fait frémir, je l’ai trouvé beau venant de lui, chargé de mystère et de grandeur.

« J’ai été prévenu qu’une école d’assassins de la planète Jnandir avait expédié ses meilleurs éléments dans la Galaxie pour retrouver et tuer les maillons de la chaîne quinte. Dès que je vous ai vu, j’ai su que c’était vous.

— Qui vous a prévenu ?

— Des amis communs, je suppose. Nous sommes nombreux dans cette galaxie à nous opposer à la volonté hégémonique du Panca.

— Je n’ai pas perdu de temps pourtant. Les messages n’ont pas pu arriver avant moi.

— Il existe des canaux qui permettent de communiquer instantanément d’un bout à l’autre de la Galaxie. »

Silf a eu un sourire empreint d’amertume.

« Je suis venu de très loin pour m’apercevoir finalement que je ne servais à rien. »

Mihak a suivi des yeux la lente progression de la femme blonde et de l’homme au masque noir sur l’écran. Écrasés par la perspective, ils ressemblaient à deux insectes perdus au milieu de l’infinie blancheur. Ils me faisaient penser à ces xets, qui marchent des jours et des jours dans le désert en espérant trouver une dépouille à manger et qui, à bout de forces, se laissent mourir pour permettre à d’autres bêtes de se nourrir d’eux et de survivre. J’avais pitié d’eux, surtout de la femme – l’homme et son masque m’effrayaient –, mais j’ai enfoui ma compassion au fond de moi. J’apprenais déjà à me méfier de mes sentiments.

« Ne croyez pas ça, monsieur l’assassin, a dit Mihak. Vous êtes mieux qualifié que moi pour tuer, c’est votre travail, pas le mien. N’oubliez pas que cette sœur renferme en elle deux maillons. Elle est donc puissante, dangereuse. J’ai eu un aperçu de votre efficacité contre les hommes de la communauté. J’ai besoin de vous. Nous ne serons pas trop de deux pour la combattre.

— Hé, on est trois ! » a protesté Witmer.

Mihak lui a lancé l’un de ces regards froids et méprisants qui trahissaient sa véritable personnalité.

« Si tu ne veux pas finir grillé comme un mourouk sur la broche, mon garçon, il vaut mieux pour toi rester en dehors de ça ! »

Witmer s’est renfrogné sur sa chaise. Je l’ai consolé d’une caresse sur la joue. J’étais consciente de l’attraction que j’exerçais sur l’adolescent et je dois reconnaître que j’en jouais. Nous avions tous les trois dormi dans la même pièce après le dîner offert par notre hôte – Mihak ne m’avait pas invitée à le rejoindre dans sa chambre, j’aurais refusé de toute façon, mon amour pour lui avait fondu à une vitesse qui me sidérait, je n’arrivais même plus à le trouver beau –, et je m’étais arrangée pour effleurer de mes mains et de mon souffle Witmer, qui dormait à mes côtés. Il fallait à tout prix que j’existe dans un regard, dans un désir, et ceux de Witmer étaient les seuls disponibles.

J’ai cru remarquer que la proposition de Mihak déplaisait à Silf. Le Jnandiran, qui avait une haute opinion de son art, n’avait certainement pas envisagé sa mission sous l’angle de la traîtrise et du partage des tâches. J’avais été impressionnée par sa façon de se battre dans la montagne, par la grâce animale qui accompagnait ses gestes et la douceur étonnante avec laquelle il prenait la vie. Aucune rage, aucune haine dans ses coups. Il y avait quelque chose d’incompréhensible dans ses mouvements : il semblait se déplacer au ralenti au milieu de ses adversaires, comme s’il n’évoluait pas sur le même plan temporel.

« Ça ne vous pose aucun problème de trahir votre Fraternité ? a repris Silf.

— Je ne la trahis pas, a rétorqué Mihak d’un ton sec. Puisque la hiérarchie observe à chaque instant mes faits et gestes.

— Elle n’intervient pas ?

— C’est sa grande faiblesse. Elle est obligée de recruter des êtres de chair et de sang pour accomplir son œuvre. Elle a la possibilité de communiquer à tout moment avec chacun de ses membres, mais elle ne peut pas intervenir directement dans la matière. Son système repose sur la soumission et la confiance.

— Comment vous a-t-elle recruté ?

— Par un frère, un vieux Zidéen de passage à San Telj. Il m’a pris comme disciple et m’a gardé trois ans près de lui. Le temps de ma formation. Avant, j’étais un fils de famille qui tuait son ennui dans l’alcool et les excitants 2n. » Il m’a jeté un regard de biais : « Et les femmes.

— Quand vous vous serez débarrassé de cette sœur, que ferez-vous ?

— Prendre une bonne cuite. Et puis visiter le vaste univers, sans doute… »

Pendant quelques instants, nous avons regardé les écrans en silence. La femme blonde et l’homme au masque noir franchissaient à présent un passage que nous avions parcouru la veille : une étroite et longue corniche surplombant un précipice. Cette même corniche que Mihak avait empruntée à de nombreuses reprises pour me rejoindre sur l’éperon rocheux qui nous servait de lit. J’ai eu envie de lui demander s’il m’avait un peu aimée ou s’il avait seulement soulagé ses pulsions animales en moi. Je n’ai pas eu besoin de poser la question, j’en connaissais la réponse. Puis, presque aussitôt, une idée s’est frayé un passage dans mon cerveau et s’est transformée en une certitude qui m’a coupé le souffle : Mihak ne nous laisserait pas repartir vivants de son repaire. Les félons n’ont pas pour habitude de laisser des témoins derrière eux. J’ai fixé Silf avec insistance. Il s’est tourné vers moi au bout de quelques instants. J’ai vu dans son regard qu’il était arrivé aux mêmes conclusions que moi et j’ai repris confiance.

« Comment comptez-vous agir ? a demandé Silf.

— Quand ils seront arrivés, nous sortirons ensemble, vous et moi, a répondu Mihak. Ils ne se méfieront pas. Vous éliminerez l’homme. Je m’occuperai de ma chère sœur. Nos cakras se neutraliseront. Ce qui vous laissera le temps de vous retourner contre elle.

— Il y a une inconnue dans votre plan : les cakras, justement. On raconte qu’ils sont imprévisibles.

— Disons que, comme toute arme symbiotique, sa puissance dépend de sa relation avec le frère qui le porte.

— Votre sœur a de l’énergie pour deux, vous l’avez vous-même affirmé.

— Je compte sur la surprise, mon ami. Nous devons en avoir fini avant qu’elle ait eu le temps de reprendre ses esprits. »

J’ai failli crier à Silf qu’il n’avait pas le droit de prendre la vie de cette femme, qu’il ne pouvait pas être l’ami ni même le complice du traître Mihak, mais j’ai refoulé mes indignations. Après tout, leur histoire ne me concernait pas. J’ai compris mon erreur plus tard, quand je me suis vraiment rendu compte que cette scène se jouait sur le théâtre de l’univers. Accrochée de toutes mes forces à ma minuscule existence, je ne songeais sur le moment qu’à sortir vivante de ce piège et à m’enfuir loin du Mantouk. Finalement, je faisais preuve de lâcheté moi aussi, je ne valais pas mieux que mon ancien amant. Mon intervention n’aurait sans doute pas changé grand-chose, car, en vieillissant, j’en suis arrivée à la conclusion que les destins étaient tracés, mais j’ai mis du temps à me pardonner. Je pense qu’une fois au moins dans sa vie chaque être humain tient le destin de l’univers dans le creux de sa main. Malheureusement, nos regards sont désespérément rivés sur nos pieds.

« Ils approchent… »

Mihak s’est levé et a marché vers l’écran. Les lumières changeantes ont éclairé son visage, ce visage que j’avais embrassé et caressé avec tant de fièvre et qui, maintenant, flottait dans la pénombre de la pièce souterraine comme un masque repoussant.

 

« Il n’y a rien là-haut. Tu es certaine que c’est par là ? »

Duhog observait les sommets enneigés qui tendaient vers le ciel leurs doigts implorants. Tau du Kolpter brillait de tout son éclat et déposait sur les hauteurs une agréable chaleur aussitôt chassée par les rafales de vent. La luminosité aveuglante agressait les yeux clairs d’Ynolde.

« On doit être à plus de quatre mille mètres, reprit Duhog. Il ne faut surtout pas se tromper de chemin, car on ne tiendra pas très longtemps. On n’a ni vivres ni équipement. »

L’écho du troisième frère résonnait dans le corps d’Ynolde avec une intensité grandissante. Il avait légèrement diminué lorsque, parvenus sur un large plateau, Duhog et elle avaient choisi une direction quelques instants plus tôt, puis de nouveau augmenté lorsqu’ils étaient revenus sur leurs pas. Il s’accompagnait d’un accroissement régulier de la chaleur du cakra. Son arme de sœur semblait la préparer au combat. Un combat contre qui ? Le troisième frère se terrait quelque part dans la montagne ; sa résonance claire et forte le prouvait. Peut-être était-il entouré d’ennemis ? Son périple entre Phaïstos et Faouk avait montré à Ynolde que les adversaires de la Fraternité étaient nombreux et bien organisés. Au nom de quel dieu, de quel principe s’opposaient-ils au Panca ? Étaient-ils liés d’une manière ou d’une autre au mystérieux danger qui menaçait les espèces vivantes ? Qui avait intérêt à ce que la vie s’arrête sur les mondes de matière ? Qui œuvrait pour rendre l’univers à jamais stérile ? Seul le premier frère, l’homme ou la femme qui rassemblerait en lui les cinq âmnas, aurait les réponses à ces questions. Ynolde participerait à sa manière à l’ultime affrontement puisque le premier maillon serait nourri de son principe vital. Il lui fallait disparaître, sacrifier son individualité pour donner une chance à la chaîne quinte de se former. Elle ne s’en indignait plus. Elle acceptait son sort, non pas avec la résignation de ceux que l’adversité met à genoux, mais en toute conscience, dans un abandon qui l’emplissait de joie.

« J’en suis sûre. »

Un reflet scintillant attira son attention. Elle crut qu’un oiseau la survolait, aperçut un petit objet circulaire qui disparut à grande vitesse derrière un pic rocheux.

« On nous observe et nous attend », murmura-t-elle.

Ils reprirent leur marche harassante dans la neige qui devenait collante avec la légère hausse de la température. Ils s’engagèrent dans un passage étroit et plat entre deux précipices. Duhog avançait précautionneusement, éprouvant à chaque foulée la consistance du sol. Ils parcoururent une trentaine de mètres sans encombre, puis la neige se déroba sous les pieds d’Ynolde. Elle perdit l’équilibre et bascula dans le vide. Elle se reçut, après une vingtaine de mètres en chute libre, sur un surplomb rocheux. L’épaisse couche neigeuse amortit le choc. Elle demeura quelques instants étourdie avant qu’une vive douleur à la jambe ne la ramène à la conscience.

« Ynolde ! Ynolde ! »

La voix angoissée de Duhog.

Elle n’eut pas la force de lui répondre. Allongée sur le bord du promontoire, d’une largeur de cinq ou six mètres, elle voyait au-dessus d’elle la paroi noire abrupte dont les rares aspérités se coiffaient de petits chapeaux de neige. Elle baignait dans une pénombre glacée. Elle voulut se redresser, mais la douleur à sa jambe l’en empêcha. Elle pensa qu’elle s’était brisé les os. Le moindre de ses mouvements risquait de la précipiter dans le vide. La chaleur du cakra consuma les pensées de panique qui l’assaillaient.

« Ynolde ! Ynolde !

— Je suis là. »

Elle eut l’impression que son hurlement lui arrachait un bout de la jambe.

« Ça va ?

— Je suis blessée. Je ne peux pas bouger.

— J’arrive. »

Duhog entama la descente de la paroi. Elle voulut lui dire que c’était inutile, trop dangereux, qu’il ne réussirait pas à remonter avec elle, elle n’en eut pas la force. Entre ses cils, elle le vit progresser centimètre par centimètre, collé à la roche, parfois agrippé à des prises étroites que ses doigts épais semblaient incapables de saisir. Elle entendit des coups et comprit qu’il plantait ses sorsenns le long des passages les plus lisses. Elle se demanda s’il en aurait en quantité suffisante. Il se maintenait parfois à la paroi par la seule force de ses doigts, ses jambes pendant dans le vide. Irradiée de la chaleur du cakra, elle oublia sa douleur pour l’encourager mentalement. Ahanant, il enfonça le dernier de ses sorsenns quatre ou cinq mètres au-dessus du surplomb, acheva la descente en s’aidant des maigres aspérités et sauta près d’elle en soulevant une petite gerbe de neige.

« Ça va ? »

Elle acquiesça d’un clignement de cils. Il se pencha sur elle pour examiner sa jambe. Il transpirait abondamment. Elle gémit lorsqu’il palpa l’endroit d’où jaillissait la douleur, puis lorsqu’il retroussa le bas de son pantalon.

« Fracture péroné tibia, murmura-t-il. Tu ne peux plus marcher.

— Il le faut.

— Je n’ai rien pour te faire une attelle. À moins que… »

Il tira son défatome d’une poche profonde de sa combinaison et en démonta le canon, d’une longueur de trente centimètres. Puis il dégrafa la ceinture qui contenait ses sorsenns et entreprit de l’enrouler autour du canon de son arme plaqué contre la jambe d’Ynolde.

« Attention, ça va faire mal. »

Il serra la ceinture aussi fort que possible avant de la nouer. La douleur, atroce, se déploya dans le corps d’Ynolde. Des larmes s’écoulèrent de ses yeux et tracèrent sur ses joues leurs sillons d’abord chauds puis glacés.

« Vraiment pas terrible, mais c’est toujours mieux que rien, maugréa Duhog. Maintenant, il va falloir remonter là-haut.

— Tu penses y arriver ?

— On n’a pas le choix. » Il retira son masque pour éponger sur son front les gouttes de sueur durcies par le froid. « Va pas falloir se rater. »

Il caressa le visage d’Ynolde du dos de la main avant de remettre son masque.

« C’est sans doute la dernière fois que je te serai utile à quelque chose, ajouta-t-il avec un sourire. Je ne sais pas si j’y arriverai, mais je promets au moins d’y mettre toutes mes forces.

— Je sais qu’elles sont immenses. »

Il leva les yeux sur la paroi.

« J’espère que les sorsenns sont bien plantés. » Il jeta un coup d’œil vers le bas. « Sinon, c’est un plongeon de plus de mille mètres. Il va falloir que tu t’accroches, Ynolde, je n’ai rien pour t’attacher. »

Elle s’efforça de sourire.

« Je suis déjà attachée. »

Il se pencha sur elle pour l’embrasser sur les lèvres.

« Tu risques d’avoir mal par moments.

— Je suis prête. »

Il s’accroupit à ses côtés pour qu’elle puisse, en se redressant, passer les bras autour de son cou, puis il se releva lentement en la soulevant du sol. La jambe brisée de la jeune femme entra en contact avec celle de Duhog. La douleur, implacable, faillit lui faire lâcher prise. Elle serra les dents et raffermit sa prise en croisant ses doigts à la base du cou de Duhog.

« C’est parti ! »

Il leur fallut un long moment pour gravir les premiers mètres. Duhog choisissait ses prises avec soin avant de se hisser un peu plus haut d’une poussée. Ynolde se cramponnait à lui à la seule force de ses bras. Ses jambes ne lui étaient d’aucune utilité, poids mort qui les tirait tous les deux vers le bas et contraignait le soldat à modifier sans cesse son centre de gravité. Elle sentait sur sa poitrine, sur son ventre, les longues contractions des muscles de Duhog, l’effort titanesque qu’il fournissait pour les remonter.

« Tu tiens bon ? murmurait-il régulièrement.

— Oui, et toi ?

— Ça va. »

Elle se collait le plus possible à son dos pour faire corps avec lui. Elle s’efforçait de lui faciliter la tâche en essayant d’anticiper et d’accompagner ses mouvements. La douleur s’assourdissait par moments, à d’autres elle plantait férocement ses crocs dans sa chair. Le cakra chauffait de plus en plus, et elle se demandait si cette escalade n’était pas l’ultime combat auquel il l’avait préparée. Ils atteignirent le passage lisse où Duhog avait planté ses sorsenns. Les armes métalliques ployèrent légèrement sous leur poids mais ne cédèrent pas. Elle s’aperçut que les mains de Duhog saignaient, incisées par les lames courbes et bien aiguisées. Il soufflait bruyamment, expulsant de temps à autre un long soupir ou un cri de rage. Les doigts d’Ynolde, qui supportaient pratiquement tout son poids, glissaient et se décroisaient peu à peu. Elle ne tiendrait plus très longtemps. La douleur et la fatigue s’associaient pour lui faire lâcher prise.

« Encore un peu », murmura-t-il.

Elle s’agrippa de toutes ses forces restantes au souvenir de son père. Il n’avait pas renoncé à l’issue d’un interminable voyage de quatre-vingts ans, il avait surmonté sa solitude et sa souffrance pour remettre son âmna au quatrième frère. Elle n’avait pas le droit d’abandonner. Duhog se hâtait maintenant. Il avait senti qu’elle était sur le point de céder et ne prenait plus le temps d’assurer ses prises. À deux reprises, son pied dérapa sur la roche glissante, mais, restant suspendu quelques secondes, il parvint à se rabattre sur une autre aspérité.

« On y est presque. »

Dans un dernier effort, Duhog parvint à se hisser en haut de la paroi. Il s’allongea avec douceur dans la neige pour permettre à Ynolde de se détacher de lui. Ils restèrent tous les deux étendus côte à côte, reprenant leur souffle.

« Tu es plus lourde que je croyais, soupira-t-il.

— Et toi aussi fort que je le pensais… »

 

« Nous y sommes. »

L’écho du troisième frère emplissait maintenant Ynolde tout entière. Duhog l’avait portée jusqu’au pied d’une crête noire en partie couverte de neige. Il s’était de temps à autre arrêté pour détendre ses bras tétanisés. Ses mains avaient cessé de saigner. Elle l’avait régulièrement embrassé dans le cou pour lui donner du courage. Il avait marché encore deux heures, ralenti par son fardeau, avant d’arriver devant la crête isolée. La douleur à la jambe d’Ynolde s’était peu à peu assoupie. Elle ignorait si ce répit était dû à l’attelle rudimentaire confectionnée par Duhog ou à la chaleur de plus en plus intense du cakra.

Duhog épousseta la poudreuse de l’échine arrondie d’un rocher pour y déposer Ynolde. Exténué, il s’assit à ses côtés.

« Retire ton masque, dit-elle. J’ai envie de voir ton visage. »

Il obtempéra. Elle contempla un long moment ses traits ravagés par le pirok, glissa la main derrière sa nuque et l’attira à elle. Elle posa les lèvres sur ses multiples cicatrices.

« Comment pourrai-je un jour te remercier, Duhog ?

— Tu l’as déjà fait. Tu m’as comblé au-delà de ce que j’espérais. Comment va ta jambe ?

— Ton attelle a fait de l’effet, on dirait.

— Je ne crois pas. Aucune attelle ne supprime la douleur des premières heures. J’ai senti la chaleur de ton arme.

— Alors elle t’a aussi aidé à trouver les… »

Un mouvement au-dessus d’eux l’interrompit. Deux silhouettes étaient apparues sur la pente de la crête.

Deux hommes. L’un, aux cheveux longs et aux yeux sombres, portait une tunique et un pantalon à la mode rananki ; l’autre, aux cheveux bouclés et aux yeux verts, était vêtu d’une astrelle noire et droite. Ils venaient d’un pas tranquille dans leur direction.

L’un de ces deux hommes était le troisième maillon de la chaîne. Son écho montait en elle comme un chant. Elle en fut bouleversée.

« C’est lequel des deux ? » demanda Duhog.

Elle n’eut pas le temps de répondre. L’homme aux cheveux longs dévala tout à coup la pente à vive allure en direction du soldat. Duhog bondit sur ses jambes. Sa main chercha machinalement un sorsenn. En vain : ils étaient tous restés plantés dans la paroi. Le premier instant de surprise passé, Ynolde plongea la main dans le cakra. Sa chaleur lui embrasa tout le corps. Lorsqu’elle tira son arme de l’étui de sangue, elle s’aperçut que l’autre homme, celui à l’astrelle noire, braquait sur elle son propre disque de feu.

Sœur Ynolde
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